17 mai – Des riens et des ruines

 

 

Le lendemain, à la cantine du lycée, je me suis attablé avec pour seule compagnie Link et ses quatre hamburgers. Tout en mangeant ma pizza, je réfléchissais, c’était plus fort que moi, aux commentaires de mon pote à propos de Lena. Il avait tapé juste. Elle avait changé, petit à petit, jusqu’à ce que j’en oublie comment les choses avaient été autrefois. Si j’avais eu quelqu’un à qui me confier, j’aurais sans doute eu droit à une réponse me conseillant de lui laisser du temps. C’était ce qu’on disait quand il n’y avait plus rien à dire ni à faire.

Lena ne se remettait pas. Elle ne redevenait pas elle-même, ne me revenait pas non plus. Pire, elle s’éloignait de moi plus que de quiconque. Il était de plus en plus fréquent que j’échoue à l’atteindre, autant par le Kelting, que par les baisers ou tout autre moyen compliqué ou simple grâce auxquels nous communiquions. Désormais, quand je prenais sa main, je ne ressentais qu’un frisson glacé.

Lorsque Emily Asher m’a regardé depuis l’autre bout de la cafète, je n’ai lu que la pitié dans ses yeux. Derechef, j’étais un type pour qui on était en droit d’éprouver de la peine. De ce-pauvre-Ethan-Wate-dont-la-maman-est-morte-l’année-dernière, j’étais passé à ce-pauvre-Ethan-Wate-dont-la-copine-a-pété-un-câble-depuis-la-mort-de-son-oncle. Tout le monde subodorait des complications, tout le monde pouvait attester que Lena n’avait pas été vue au lycée en ma compagnie.

Au-delà du fait qu’ils n’avaient jamais apprécié Lena, ces misérables aimaient être témoins de la misère d’autrui. Je venais de poser une exclusivité sur la misère. J’étais plus que misérable, moins appétissant qu’un hamburger abandonné sur un plateau de cantine. J’étais seul.

 

Un matin, environ une semaine plus tard, j’ai commencé à percevoir un bruit insistant au fond de mon cerveau. Étrange, il ressemblait un peu à un grincement, à un disque qu’on scratche, à une page qu’on déchire. J’étais en cours d’histoire, où nous parlions de la reconstruction après la réunification des États-Unis, une période encore plus barbante que la guerre de Sécession. Dans une classe de Gatlin, ce chapitre était plus embarrassant que déprimant, car il nous rappelait que la Caroline du Sud avait été un État esclavagiste, et que nous avions choisi le mauvais camp, celui du mal. Nous en étions tous conscients ; il n’empêche, nos ancêtres avaient inscrit un 0/20 indélébile sur notre bulletin, à la rubrique morale nationale. Des blessures aussi profondes laissent des cicatrices, quoi qu’on fasse pour les soigner. M. Lee rabâchait, ponctuant chacune de ses phrases par un soupir dramatique.

Je m’efforçais de faire la sourde oreille quand j’ai humé une odeur de brûlé, l’âcreté d’un moteur surchauffé, l’essence d’un briquet. J’ai regardé autour de moi. Cela ne provenait pas du père Lee, source la plus fréquente de toute puanteur en cours d’histoire. Aucun de mes camarades n’avait semblé remarquer quoi que ce soit. Le bruit a augmenté, forcissant en un charivari confus mêlant fracas, déchirures, paroles, cris. Lena.

L ?

Pas de réponse. Par-dessus le vacarme, je l’ai entendue qui marmonnait des vers, et pas du genre qu’on envoie à la Saint-Valentin. Not Waving But Drowning. J’ai identifié le poème. Lena en train de lire du Stevie Smith[10], c’était à peine moins pire que les vers les plus noirs de Sylvia Plath[11] ou qu’une journée à se délecter de La Cloche de détresse. Lena avait hissé le drapeau rouge, un peu comme quand Link écoutait les Dead Kennedys[12] ou quand Amma hachait les légumes nécessaires à ses rouleaux de printemps à grands coups de fendoir.

Tiens bon, L. J’arrive.

Quelque chose avait changé et, avant que ça disparaisse, j’ai attrapé mes livres et j’ai décampé. Le petit père Lee n’a pas eu le temps de pousser son soupir suivant que j’étais sorti de sa classe.

 

Refusant de croiser mon regard lorsque j’ai franchi la porte, Reece s’est bornée à désigner l’escalier. Ryan, la plus jeune cousine de Lena, était assise, toute triste, sur la première marche, en compagnie de Boo. Quand j’ai ébouriffé ses cheveux, elle a mis un doigt sur ses lèvres.

— Lena fait une dépression nerveuse, a-t-elle chuchoté. Nous sommes censés éviter tout bruit jusqu’à ce que Bonne-maman et maman reviennent.

Une dépression nerveuse ? C’était la litote du siècle.

La porte de sa chambre était entrebâillée. Quand je l’ai poussée, les gonds ont gémi, et j’ai eu l’impression de pénétrer sur la scène d’un crime. On aurait dit que la pièce avait été secouée dans tous les sens. Les meubles étaient renversés, saccagés, ou s’étaient purement et simplement évaporés. Les lieux disparaissaient sous les lambeaux de livres : pages arrachées, déchirées et collées sur les murs, le plafond et le plancher. Il ne restait pas un volume sur les étagères. Une bibliothèque qui aurait explosé. Certaines feuilles calcinées fumaient encore. La seule chose manquant au tableau, c’était Lena.

L ? Où es-tu ?

J’ai balayé l’endroit des yeux. La tête de lit n’accueillait pas les débris des ouvrages qu’elle aimait. À la place était écrit :

 

Personne le défunt, Personne le vivant

Personne n’abandonne et Personne ne donne

Personne ne m’entend, juste Personne s’en soucie

Personne ne me craint, Personne juste me regarde

Personne ne m’appartient et Personne ne reste

Aucune Personne ne connaît rien à rien

Il ne reste rien que des riens et des ruines

 

Personne et Personne. L’un d’eux était Macon, non ? Le défunt.

Qui était l’autre ? Moi ?

Était-ce celui que j’étais désormais, Personne ?

Tous les garçons étaient-ils obligés de se creuser autant la cervelle pour tenter de piger leur amoureuse ? Pour redresser les poèmes tordus qu’elle rédigeait sur tous ses murs à l’aide d’un feutre ou de fissures dans le plâtre ?

Il ne reste rien que des riens et des ruines.

J’ai effleuré le mur, le mot ruines a bavé.

Parce que tout ce qui restait n’était pas que riens et ruines. Il y avait forcément plus : plus pour Lena et pour moi, plus pour tout. Ce n’était pas seulement Macon. Ma mère était morte, mais ces derniers mois avaient prouvé que je conservais en moi une part d’elle. J’avais commencé à songer de plus en plus souvent à elle.

« Appelle-toi toi-même. » Tel avait été le message qu’elle avait envoyé à Lena à l’aide des pages numérotées de différents ouvrages éparpillés sur le sol de sa pièce préférée, chez moi. Celui qu’elle m’avait adressé n’avait eu besoin d’être écrit nulle part, ni en nombres, ni en lettres, ni même en rêves. Le plancher de Lena rappelait celui de notre bureau ce jour-là, avec ses volumes ouverts partout. La différence, c’est qu’il manquait des pages à ceux-ci, ce qui laissait supposer un tout autre message.

Chagrin et culpabilité. C’était le deuxième chapitre de chaque bouquin que ma tante Caroline m’avait offert sur les cinq étapes – ou je ne sais quel nombre d’étapes – du deuil répertoriées par les gens bien informés. Lena avait vécu les deux premières, choc et déni. J’aurais logiquement dû prévoir celle-ci. Pour elle, j’imagine qu’il s’agissait de renoncer à l’une des choses qu’elle aimait le plus. Les livres.

Enfin, j’espérais que mon analyse était correcte. Me frayant soigneusement un chemin autour des couvertures évidées et calcinées, j’ai avancé. Les sanglots étouffés me sont parvenus avant que je la découvre. J’ai ouvert la porte du placard. Tapie dans le noir, elle serrait ses genoux contre son torse.

Tout va bien, L.

Si elle a levé la tête vers moi, je ne suis pas sûr qu’elle m’ait vu.

Tous mes livres parlaient comme lui. Je n’arrivais pas à les faire taire.

Ce n’est pas grave. Tout va bien, maintenant.

Je devinais que les choses n’en resteraient pas là. Rien n’allait. Quelque part sur la route entre la colère, la peur et le malheur, elle avait bifurqué. Je savais par expérience que rebrousser chemin était impossible.

 

Bonne-maman s’était enfin résignée à intervenir. Lena retournerait au lycée la semaine suivante, que ça lui plaise ou non. C’était ça ou ce que personne n’osait formuler à voix haute : Blue Horizons ou son équivalent, quel qu’il soit, dans le monde des Enchanteurs. En attendant, je n’étais autorisé à lui rendre visite que pour lui déposer ses devoirs. D’un pas lourd, j’ai remonté l’allée avec, à la main, un sac du Stop & Steal rempli de feuilles d’exercices et de sujets de dissertation sans intérêt.

Pourquoi me punir, moi ? Qu’est-ce que j’ai fait ?

Je crois que je ne suis pas censée fréquenter les gens susceptibles de me mettre dans tous mes états. C’est ce que m’a expliqué Reece.

Et c’est moi qui te mets dans tous tes états ?

Une espèce de plaisir s’est éveillé en moi.

Bien sûr. Simplement, pas comme ma famille le pense.

Lorsque la porte de sa chambre s’est enfin ouverte, j’ai laissé tomber mon sac et je l’ai attirée entre mes bras. Je ne l’avais pas vue depuis seulement quelques jours, mais le parfum de ses cheveux me manquait. Citrons et romarin. Les choses familières. Toutefois, aujourd’hui, je n’ai rien senti. J’ai enfoui mon visage dans son cou.

Toi aussi, tu m’as manqué.

Lena m’a regardé. Elle portait un tee-shirt et des collants noirs audacieusement fendus çà et là sur toute la longueur de ses jambes. Ses cheveux tentaient de s’échapper de la barrette qui les retenait sur sa nuque. Son collier pendait, entortillé autour de sa chaîne. Ses yeux étaient cernés d’ombres qui ne relevaient pas du maquillage. J’étais soucieux. Et mon inquiétude s’est d’autant plus renforcée quand j’ai contemplé sa chambre, par-delà son épaule.

Bonne-maman s’en était mêlée. Il n’y avait pas un livre brûlé, pas un objet déplacé. C’était tout le problème. Pas une trace de feutre, pas un poème, pas une feuille volante par terre. À la place, les murs étaient décorés d’images soigneusement punaisées en une rangée régulière autour de la pièce, comme une sorte de clôture qui aurait emprisonné Lena à l’intérieur de son sanctuaire.

« Disparu dans la gloire de Dieu. » « Repose en paix. » « Regretté. » « Fille. » Des clichés de stèles, pris de si près que je ne distinguais que les mots ciselés et, derrière eux, le grain épais de la pierre. « Père. » « Joie. » « Désespoir. » « Repos éternel. »

— Je ne savais pas que tu donnais dans la photographie, ai-je marmonné en m’interrogeant sur ce que j’ignorais d’autre.

— Ce n’est pas le cas, a-t-elle répondu, gênée. Pas vraiment.

— Elles sont super.

— C’est supposé me faire du bien. On me demande de prouver que j’ai admis qu’il est parti pour de bon.

— Mouais. Mon père, lui, est désormais censé tenir un journal de ses émotions.

Sitôt mes paroles prononcées, je les ai regrettées. Comparer Lena à mon père pouvait difficilement passer pour un compliment. Heureusement, elle n’a pas semblé y prêter attention. Depuis combien de temps rôdait-elle avec son appareil dans Son Jardin du Repos Éternel ? Comment m’étais-je débrouillé pour ne pas m’en apercevoir ?

« Soldat. » « Paix. » « Au moyen d’un miroir, d’une manière obscure[13]. »

Je suis arrivé à la dernière image. La seule qui détonnait sur l’ensemble. Une moto ; une Harley appuyée contre une stèle. Les chromes luisants de l’engin paraissaient décalés, au milieu des vieilles pierres érodées. Au fur et à mesure que j’examinais la photo, mon pouls s’est emballé.

— C’est quoi, celle-là ?

— Un type qui venait se recueillir, j’imagine, a-t-elle éludé avec un geste évasif. Il était là, c’est tout. Je n’arrête pas de me dire que je devrais l’enlever. La lumière est franchement mauvaise.

Se mettant devant moi, elle a ôté les punaises. Le cliché a disparu, laissant place à quatre trous minuscules sur le mur noir. Ces photos mis à part, la chambre était presque vide, comme si Lena avait emballé ses affaires pour partir en pension ou un truc dans le genre. Plus de lit. Plus d’étagères ni de livres. Le vieux lustre que nous avions fait vibrer tant de fois au point que j’avais craint qu’il ne se décroche s’était lui aussi volatilisé. Au milieu de la pièce, un futon était posé à même le sol. Tout à côté se trouvait un petit moineau en argent. J’ai aussitôt été submergé par des souvenirs de l’enterrement : les magnolias arrachés à la pelouse, cet oiseau bijou dans la paume boueuse de Lena.

— Tout paraît si différent.

Je me suis efforcé de ne pas réfléchir à la raison de la présence du moineau près de sa nouvelle couche. Une raison qui ne devait rien à Macon.

— Ben, tu sais ce que c’est. Grand nettoyage de printemps. Et puis, j’avais un tantinet flanqué le bazar.

Quelques ouvrages défraîchis traînaient sur les draps. Par habitude, j’en ai feuilleté un avant de me rendre compte que je venais de commettre le pire des crimes. Bien que sa couverture soit celle d’un vieil exemplaire de L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde, l’intérieur n’avait rien à voir avec l’ouvrage en question. Il s’agissait de l’un des carnets à spirale de Lena, et je l’avais ouvert juste devant elle. Comme si ça n’avait pas d’importance, comme si j’étais en droit de le lire.

J’ai ensuite constaté autre chose : la plupart des pages étaient vierges.

J’ai accusé le coup avec presque autant de violence que quand j’avais découvert que le supposé roman de mon père n’était qu’un ramassis de gribouillis. Lena trimballait un calepin partout où elle allait. Qu’elle ait cessé d’y griffonner constamment prouvait que la situation était pire que je l’avais estimé.

Lena était pire que je l’avais estimé.

— Hé, qu’est-ce que tu fabriques, Ethan ?

J’ai ôté ma main, elle s’est emparée du volume.

— Désolé, L.

Elle était furax.

— J’ai cru que c’était un bouquin, ai-je plaidé. Après tout, il y ressemble. Je ne m’attendais pas à ce que tu abandonnes ton cahier là où n’importe qui risquait de le voir et de le lire.

Son précieux bien plaqué contre elle, elle m’a tourné le dos.

— Pourquoi n’écris-tu plus ? Je croyais que tu adorais ça ?

— Mais j’écris, a-t-elle objecté en ouvrant le cahier pour me montrer.

Elle a fait défiler les pages blanches dont chaque ligne était à présent couverte de minuscules gribouillis, des mots barrés encore et encore, corrigés, révisés, revisités des milliers de fois.

— Tu as envoûté ton calepin ?

— J’ai Transmuté son contenu hors de la réalité Mortelle. Seul un Enchanteur est en mesure de le déchiffrer, sauf si j’en décide autrement.

— Génial ! D’autant que Reece, la personne la plus encline à le faire, est une Enchanteresse.

Reece était aussi fouineuse que directive.

— Elle n’a pas besoin de recourir à ces extrémités. Il lui suffit de lire mon visage.

Vrai. En tant que Sibylle, sa cousine avait le pouvoir de décrypter vos pensées, vos secrets et vos projets rien qu’en observant vos traits. Ce qui expliquait pourquoi je m’arrangeais pour la fuir, en général.

— Dans ce cas, pourquoi tous ces mystères ?

Je me suis affalé sur le futon. Elle s’est assise à côté de moi, en équilibre sur ses jambes croisées. L’ambiance était moins décontractée que je ne voulais bien l’admettre.

— Je ne sais pas trop. Si je continue d’avoir envie d’écrire tout le temps, je désire peut-être moins qu’on me comprenne. Ou encore moins que d’habitude.

— « On » c’est moi, ai-je marmonné, les dents serrées.

— Ce n’est pas ce que j’ai dit.

— Quel autre Mortel risque de lire ton calepin ?

— Tu ne saisis pas.

— Je crois que si, au contraire.

— Un petit peu, sans doute.

— Je pigerais tout si tu m’y autorisais.

— Il ne s’agit pas d’autoriser ou non, Ethan. Je n’arrive pas à t’expliquer.

— Laisse-moi y jeter un coup d’œil, alors.

J’ai tendu la main. Elle a cédé, non sans lever un sourcil interrogateur cependant.

— Tu n’y arriveras pas, m’a-t-elle averti.

Ouvrant le volume, je l’ai examiné. J’ignore si Lena en a décidé ainsi ou si c’est le cahier lui-même ; quoi qu’il en soit, les lettres se sont inscrites sur la page, lentement, l’une après l’autre. Elles ne composaient ni un poème ni une chanson. Il n’y avait guère de mots, beaucoup plus de drôles de crayonnés, de formes et de tortillons qui encombraient la feuille, telle une collection de dessins tribaux. Une liste est apparue en bas.

 

ce dont je me souviens

mère

ethan

macon

hunting

le feu

le vent

la pluie

la crypte

le moi qui n’est pas moi

le moi prêt à tuer

deux corps

la pluie

le livre

la bague

l’amulette d’Amma

la lune

 

Lena m’a repris le calepin sans me laisser le loisir de déchiffrer les dernières lignes.

— Arrête !

Je l’ai contemplée avec stupeur.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Rien. C’est intime. Tu n’aurais pas dû réussir à le lire.

— Et comment expliques-tu que j’y sois arrivé ?

— J’ai sans doute mal lancé le sortilège du Verbum Celatum. Le Mot Caché.

Elle m’a contemplé d’un air anxieux, ses prunelles se sont adoucies.

— Aucune importance, a-t-elle enchaîné. J’essayais de me rappeler cette nuit. Celle où Macon… a disparu.

— Est mort, L. La nuit où Macon est mort.

— Je sais qu’il est mort. Bien sûr qu’il est mort. Je ne tiens pas à le dire, c’est tout.

— Tu es sûrement déprimée. Rien de plus normal.

— Quoi ?

— C’est l’étape suivante.

La colère a traversé le regard de Lena.

— Ta mère est morte, mon oncle aussi. Il n’empêche, les étapes de mon deuil ne sont pas les tiennes. Ceci n’est pas le journal de mes émotions. Je ne suis ni ton père ni toi, Ethan. Nous ne nous ressemblons pas autant que tu le crois.

Nous nous sommes dévisagés comme nous ne l’avions pas fait depuis longtemps. Une indicible minute s’est écoulée. Je me suis aperçu que nous avions discuté à voix haute depuis mon arrivée dans sa chambre, sans recourir au Kelting. Pour la première fois, j’ignorais ce qu’elle pensait, et il était évident qu’elle n’avait pas la moindre idée de ce que je ressentais.

Soudain, le miracle s’est produit, cependant. Ouvrant les bras, elle m’a attiré à elle, car, pour la première fois aussi, c’est moi qui pleurais.

 

De retour à la maison, j’ai constaté que toutes les lampes étaient allumées. Malgré tout, je ne suis pas entré. M’asseyant sur la véranda, j’ai observé les lucioles qui clignotaient dans l’obscurité. Je ne voulais voir personne. Je voulais réfléchir et j’avais le pressentiment que Lena ne m’écouterait pas. Lorsqu’on est assis dans le noir, il se passe un truc qui vous rappelle combien le monde est vaste, et combien nous sommes loin les uns des autres. Les étoiles ont l’air assez près pour qu’on puisse les toucher, sauf qu’on ne peut pas. Parfois, les choses paraissent plus proches qu’elles ne le sont en réalité.

Je suis resté si longtemps à scruter la nuit que j’ai cru distinguer un mouvement du côté du vieux chêne planté dans notre cour de devant. L’espace d’un instant, les battements de mon cœur se sont accélérés. À Gatlin, rares étaient ceux qui fermaient leur maison à clé, mais je savais qu’il existait tout un tas d’êtres capables de passer outre un verrou. De nouveau, l’air a bougé, presque imperceptiblement, pareil à une onde de chaleur. J’ai brusquement discerné qu’il ne s’agissait en rien d’une créature désireuse de forcer ma porte, mais d’une fugueuse qui s’était enfuie d’une autre demeure.

Lucille, la chatte des Sœurs. J’ai vu ses iris bleus luire dans l’obscurité, tandis qu’elle approchait.

— J’avais bien dit à tout le monde que, tôt ou tard, tu retrouverais ton chemin. (L’animal a penché la tête sur le côté.) Tu te rends compte que, après pareille escapade, les Sœurs ne te laisseront plus jamais t’éloigner de la corde à linge ?

Lucille m’a fixé comme si elle me comprenait très bien. Comme si elle avait envisagé les conséquences de son acte, mais que, pour une raison connue d’elle seule, elle l’avait quand même mis à exécution. Une luciole a voleté devant moi, et la chatte a bondi du perron. La bestiole ne cessait de voler plus haut, ce qui n’a pas empêché ce crétin de chat de tenter de l’attraper. Lucille ne semblait pas s’apercevoir que sa proie était beaucoup plus loin qu’elle paraissait l’être. À l’instar des étoiles. À l’instar de tant de choses.

17 Lunes
titlepage.xhtml
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_024.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_025.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_026.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_027.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_028.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_029.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_030.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_031.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_032.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_033.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_034.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_035.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_036.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_037.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_038.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_039.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_040.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_041.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_042.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_043.html
Garcia,Kami&Sthol,Margaret-[Livre des lunes-2]17 lunes(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_044.html